D67 IW Avesnois célèbre la Femme

JDDF 01 mars 2022 Aulnoye-Aymeries        Émilie Louise Delabigne (1848-1910)      dite Valtesse de La Bigne, une sacrée Nana

C’est l’histoire d’une demi- mondaine, d’une cocotte, d’une horizontale qui fut dans la 2ème moitié du XIXe siècle une des femmes les plus en vue de Paris à une époque où Paris prenait l’Europe dans ses draps. Une Europe dominante en mutation économique et sociale où la société était partagée entre opulence et misère, Emilie Louise Delabigne en devenant Valtesse de la Bigne incarne les 2 aspects de cette société.

  Qui sont ces courtisanes ?  Elles sont  blanchisseuses, couturières, servantes, fleuristes… actrices et deviennent  des femmes de plaisir, elles trouvent dans la prostitution un complément de salaire et parfois un espoir d’une ascension sociale. La courtisane  inspire de nombreux peintres et écrivains : l’Olympia de  Manet , Boule de suif de Maupassant , la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas. Les lieux de rencontre ont leur carte, leurs tarifs, la plupart ont aujourd’hui disparu, il reste cependant à deux pas de ND de Paris  sur les quais de la Seine le célèbre Lapérouse.

  L’enfance d’Emilie Delabigne est faite de misère sur fond d’alcoolisme, elle ne connaît pas l’école car elle travaille dès l’âge de 10 ans dans un magasin de confection  près de la rue Notre Dame de Lorette et devient une Lorette,  surnom donné à ces filles qui s’adonnent à la prostitution. Elle pose  pour le peintre Corot, dont l'atelier se situe dans ce quartier,  le vieux monsieur (65 ans) la fait rêver en  lui racontant ses séjours à Ville d’Avray. C’est peut-être cela qui explique son  goût pour  la peinture.

     A la recherche de  clients  plus fortunés,  elle travaille dans des bals musette  comme la brasserie à filles du Champ-de-Mars et tombe amoureuse d’un riche militaire   qui lui fait 2 enfants mais l’abandonne. Sa volonté de sortir de son milieu social reste intacte ; suite à cette déception, elle jure  de ne jamais se marier et de  gagner de l'argent avec les hommes. Elle veut devenir actrice et cherche un  nom adapté à la scène et choisit  Valtesse, une combinaison de Votre Altesse. Elle cultive ses atouts de séduction. Aux Bouffes Parisiens sa longue chevelure rousse attire très vite l'attention d’Offenbach… Elle devient la  maîtresse du compositeur ; il  lui fait découvrir les restaurants à la mode   fréquentés par Zola, Flaubert et Maupassant…
Désormais, les plus riches sont à ses pieds, Valtesse fait tourner la tête  et vide les porte feuilles. Parmi ses amants, le  prince polonais  Lubomirski, il l’installe dans un appartement rue Saint-Georges, elle  le ruine puis  le quitte.  C’est ensuite le tour du dandy le prince de Sagan Charles Guillaume Frédéric Boson ( Ier ) de Talleyrand-Périgord, amoureux fou, il   finance  la construction d’un hôtel particulier au  98, boulevard Malesherbes avec pour  architecte Jules Février (1873 à 1876) et décorateurs   Charles Garnier, Courbet, Ingres et Gervex.                                                                                                                                                                                              
Valtesse pose pour des peintres célèbres et devient leur amie, leur amante : Manet, Gervex,  Detaille,  Courbet, Boudin … Elle  amasse une vaste collection d'art. Elle fréquente aussi les écrivains, Mirbeau, A Louÿs, T Gautier, Edmond de Goncourt.  Tout ce beau monde se retrouve chez elle,  on y discute, on y mange des mets raffinés et  aux plus fortunés  elle offre des moments d’ intimité … Emile Zola envisage  d’écrire un livre sur une courtisane ; il rencontre Valtesse,  et   découvre  la chambre de la courtisane avec son célèbre lit. Voici la description qu’il en fait dans son roman Nana  « Un lit comme s'il n'en existait pas, un trône, un autel où Paris viendrait admirer sa nudité souveraine […]. Au chevet, une bande d'amours parmi les fleurs se pencherait avec des rires, guettant les voluptés dans l'ombre des rideaux. »

Elle a tout : l’argent, de luxueuses maisons,  la notoriété, des amis célèbres… seule ombre son histoire familiale, Valtesse y remédie et se construit une nouvelle histoire familiale, elle obtient en 1882 que l'orthographe de son état civil soit rectifié en "de la Bigne", puis en 1902  lors de son installation  définitive à Ville d’Avray  la maison la Chapelle-du-Roy,  elle commande au peintre Detaille une galerie de tableaux sensée représenter sa famille !

En effet en  mai 1902, Valtesse a vendu son hôtel particulier rue Malesherbes à Paris et la majeure partie de son contenu, la vente aux enchères  lui rapporta l'équivalent de 10 millions d’euros. Dès lors elle poursuit ses réceptions, ses voyages à Monte Carlo où elle a acquis un hôtel particulier. Enfin elle  consacre une partie de son temps dans une sorte d’école où elle transmet son savoir faire  à des jeunes filles souhaitant suivre son chemin.  

 En 1909,  sa santé se détériore,  Emilie de la Bigne meurt le 29 juillet 1910à  62 ans,  elle est enterrée au cimetière de Ville d’Avray. 

Aujourd’hui, son  monument funéraire a perdu de sa hauteur, la sculpture de marbre et les bronzes ont disparu. Son célèbre lit légué en 1911 et son bureau (2019) peuvent  être vus  au Musée des Arts Décoratifs de Paris.  

Au Metropolitain Museum of Art de  New York  se trouve un portrait de Valtesse  de  Manet et à Paris à Orsay , Valtesse à l’Horizontale de  Gervex                            Ce monde si particulier incarné ici par Valtesse de la Bigne disparaît avec la 1ère Guerre Mondiale, la société est transformée, les frontières de l’Europe modifiées, les dirigeants contestés et  les fortunes ont changé … C’est un autre monde. Il n’en reste pas moins que Valtesse est un témoin d’une époque et que c’était UNE SACREE NANA !